Plusieurs habitants de l’Orezza ont reçu ces derniers mois la visite d’une jeune femme dont la conversation respectueuse et pertinente écartait l’idée qu’elle fût une touriste ordinaire. Dans la maison Paoletti de Petricaggio, devenue Maison du Parc Régional de Corse, elle occupait un logement prêté par l’administration du Parc, étant donné le sujet de son mémoire de Master 2e année, relatif à la châtaigneraie de Corse. De juin 2020 à mi-septembre 2020, Doria Bellache a tenté de rencontrer en Castagniccia les personnes encore actives dans la castanéiculture et tous ceux qui conservent une connaissance mémorielle des pratiques castanéicoles, un savoir dont nous savons à regret qu’il est en train de se perdre et que les études appliquées de notre chercheuse contribueront à une tentative de conservation, et qui sait ? de renaissance.
Doria, quelles circonstances vous ont amenée à ce séjour studieux en Orezza, si loin de votre région d’origine ?
C’est la rencontre avec Vincent Battesti, chercheur au Muséum d’Histoire Naturelle de Paris où j’étais étudiante, qui m’a donné cette opportunité. J’avais rédigé un mémoire bibliographique pour ma première année de master, sur une oasis d’Arabie Saoudite , qui portait sur l’oasis d’al-‘Ulā en Arabie Saoudite sur laquelle il travaillait. Cette étape franchie, la 2e année de master exigeait un mémoire plus approfondi avec étude ethnographique sur le terrain. J’avais commencé à affiner mon sujet de recherche qui portait sur « Agriculture et arboriculture en méditerranée ». Mon directeur de master m’a conseillé de me rapprocher de Vincent Battesti qui poursuivait également un travail de recherche sur les châtaigneraies en Corse, dans le même domaine que celui qui m’intéressait, l’arboriculture en méditerranée et ses socio-ecosystèmes. C’est alors qu’il m’a proposé comme sujet de mon mémoire de master 2 « les châtaigneraies de la vallée d’Orezza. »
Depuis combien de temps êtes-vous en Orezza ?
De juin à mi-septembre 2020, j’ai accompli mes recherches sur le terrain, puis je suis rentrée rédiger mon mémoire et assurer sa présentation. En avril 2021, une étude avec l’INRAE au sein de l’unité de recherche de l’université de Corte sur les agrumes de Corse m’a offert l’opportunité de revenir sur l’île. (Après avoir logé près de Corte, elle a demandé à José et Elisabeth Mattei si elle pouvait rester dans leur maison de E Celle plutôt que de rentrer sur le continent, ce qu’ils ont aimablement accepté)
Ce temps solitaire et studieux n’a pas été trop difficile ?
Les rencontres relatives à ma recherche étaient fréquentes, et c’est surtout le soir que devant mon ordinateur je mettais en ordre mes observations. En permanence préoccupée par mon sujet, je n’ai jamais souffert de la solitude, d’autant que partout j’étais très aimablement accueillie.
Pour vous, la Corse, la Castagniccia, était une découverte ?
Complètement. Je viens d’une région de culture céréalière de plaine, la Seine-et-Marne, Je ne connaissais ni la Corse, ni la montagne corse, ni la châtaigneraie, et surtout pas la Castagniccia, une micro-région aux particularités écologiques remarquables. Ce fut pour moi une découverte.
Cette découverte vous a-t-elle enthousiasmée ?
En anthropologie, certains défendent le fait de s’intéresser à un milieu avec lequel on n’est pas familier de façon à conserver un regard neuf, une analyse aiguisée, de la curiosité. Chaque jour m’offrait de nouvelles découvertes, des informations différentes de la veille, une motivation supplémentaire à découvrir davantage.
Votre présence n’est pas banale. Une continentale venue ni pour le tourisme, ni par attachement familial ou sentimental, et pour un assez long séjour. Comment l’avez-vous vécu dans nos villages ?
Je n’y étais qu’à la belle saison, ce qui facilite les choses. Comme peu de personnes y résidaient dans la période où j’y étais, les rencontres fréquentes des mêmes habitants créaient des liens, de vraies relations. Ceux qui étaient à la base des informateurs pour mon travail de recherche devenaient aussi des amis. J’ai été très bien reçue partout.
A la lecture de votre mémoire, très instructif, même pour les connaisseurs, on éprouve une certaine nostalgie devant la déshérence actuelle de la châtaigneraie.
Il s’agissait avec les conseils de Vincent Battesti, de contribuer à une ethnobotanique du châtaignier et à une description de tous les usages et pratiques liés à cette plante. Mais le constat de la déprise agricole, dans les discours des informateurs et sur le terrain même d’observation, s’est naturellement imposé. L’Histoire et le Passé ont une très grande importance dans la culture. Au-delà d’une simple nostalgie, d’autres anthropologues ont noté (Dans le Niolu, notamment) que le passé est dans le présent chez la plupart des Corses.
Toute une civilisation agro-pastorale semble s’éteindre inexorablement
L’adaptation à l’environnement a perduré pendant des siècles en Castagniccia. Il n’émerge pas encore de nouvelles solutions d’occupation de l’espace agro-pastoral qui puissent se développer et s’installer durablement, ce qui engendre une certaine nostalgie pour un mode de vie dont on se remémore les aspects les plus harmonieux. Mais si l’on ne voit pas encore ce qui peut advenir, la richesse environnementale de cette vallée d’Orezza laisse penser que tout est possible.
Vincent Battesti a mis en ligne le mémoire de recherche de Doria Bellache, afin que tous ceux qui veulent le consulter puissent le faire. C’est un mémoire de 134 pages, à vocation scientifique, et qui contient bien des connaissances diffuses dans les mémoires des habitants de la châtaigneraie, ordonnées en une étude systématique et qui a obtenu une très bonne note à l’issue de sa soutenance. Doria Bellache espère maintenant obtenir les crédits nécessaires à une longue étude d’au moins trois années qui débouchera sur une thèse de doctorat dans le même domaine de recherche. C’est évidemment ce que nous lui souhaitons, avec la perspective du plaisir de la revoir parmi nous.