Bastia journal -- Le lundi 5 et le mardi 6 février 1934.

Ce n'est pas sans appréhension que nous attendions la fin de la tempête qui depuis quelques jours fait rage, interrompant les communications terrestres, maritimes et aériennes, et nos craintes n'étaient, hélas ! Que trop justifiée : voici encore une fois, une fois de plus, la Corse en deuil.

L'émotion, plutôt la consternation nous empêche de faire de la littérature et la catastrophe d'Ortiporiro dépasse en l'horreur celle du palais de justice de Bastia, car c'est de 40 cadavres que l'on parle, sans compter les blessés, les malheureux survivants bloqués dans la neige, sans abri, sans nourriture.

Dès dimanche, les brigades de gendarmerie de la région ont répondu à l'appel du tocsin qui gémit du haut de tous les clochers des villages environnants ont pris toutes les mesures de sauvetage possible avec les difficultés de communication, avec la pénurie des moyens de secours immédiat, avec le mauvais temps, aux braves gendarmes se sont joints bientôt les détachements de la garnison de Bastia, les skieurs du commandant Ottaviani, et une équipe de travailleurs italiens que le consul général d'Italie a également mise à la disposition du sous préfet de Bastia; une ambulance, avec salle de chirurgie, a été organisé à Barchetta; le maire de Bastia a lancé à la population un appel qui a été entendu, et le commissaire de police a dû limiter au moyen de transport dont il disposait le nombre des volontaires qui ont répondu, hier matin à l'appel de M. Hyacinthe de Montera.
M. Morucci, conseiller général est parti avec M. Le Bomin, entrepreneur et une équipe d'ouvriers enfin de porter secours à la population de Morosaglia où la neige atteinte environ un mètre 25 de hauteur.
Ces dévouements, ses élans de solidarité, ne surprennent pas ce qui connaissent l'altruisme de nos compatriotes, leur mépris du danger, et l'exaltation de leur esprit de sacrifice.

Il n'y a rien d'autre à faire qu'à tenter de remédier aux maux dont, en cette circonstance naturelle, les sinistrés d'Ortiporio souffrent: maudire le destin est aussi vain que montrer le poingt au ciel de d'ou tombe la neige qui forma l'avalanche qui ensevelit le village, ou aux côtés de l'horizon d'ou soufle le vent qui emporta les toits des maisons.

Quand on aura rendu aux morts les honneurs funèbres, quand on aura donné aux blessés les soins indispensables, quand les survivants seront hors de danger, il faudra penser à réparer les ruines et à secourir les détresses, car aux victimes humaines s'ajoutent les animaux domestiques, les bestiaux, morts de faim et de froid et qu'il faudra remplacer pour la reprise des travaux agricoles: la vie continue avec ses exigences et ses devoirs.
Ce sera la tâche de demain, dès que nous aurons pleuré les morts.

UNE AVALANCHE CAUSE LA MORT A ORTIPORIO DE 40 PERSONNES.

C'est dans la nuit de vendredi à samedi, vers trois heures, qu'une avalanche a presque totalement détruit le village d'Ortiporio.
On compte une quarantaine de morts et de nombreux blessés.
Le canton de Campile est durement éprouvé par cette catastrophe. Déjà samedi, il avait fallu débloquer le village de Monte ou les habitants ne pouvaient sortir de chez eux.
M. Beaugrand, sous-préfet de Bastia, informer de cette catastrophe par un brave italien, M. Spinadella, venus des environs d'Ortiporio au péril de sa vie, a immédiatement pris, d'accord avec les autorités civiles et militaires, toutes les dispositions utiles.
Une colonne de secours est partie lundi à trois heures. Un groupe de skieurs sous les ordres du commandant Ottaviani et du lieutenant Ferrari, s'est rendu à la première heure sur les lieux, ainsi que M. le sous-préfet Beaugrand.
Ajoutons qu'un service médical a été organisé sous la direction des docteurs Zuccarelli et Orsini.
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Valle de Rostino est bloqué par la neige, ainsi que Castello de Rostino ou les cloches sonnent tocsin.
Dans la région d'Orezza des villages sont également bloqués par la neige. Mais il y a aucun moyen de communication pour pouvoir y arriver.
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Bastia journal. 3e page. 5 et 6 février 1934
LA CATASTROPHE D'ORTIPORIO.

Voici quelques détails complémentaires sur la terrible catastrophe que nous relatons en première page.
Depuis jeudi matin la neige n'avait cessé de tomber sur la région de la Costera et accumulait sur les hauteurs qui dominent le canton de Campile. Après une courte accalmie la tempête reprenait de plus belle et un an violent soulevant de larges tourbillons se mit de la partie.
Dans la nuit de samedi à dimanche, vers 3 h 30, une véritable avalanche se produisait soudain au dessus du village D'Ortiporio. La neige entraînait sur son passage des rochers, d'énormes châtaigniers, des oliviers et cette masse confuse venait soudainement se battre sur un groupe de sept à huit maisons du village. Sous le choc d'une violence inouïe, non seulement les toitures s'effondrèrent, mais les maisons elles-mêmes, bâti sur le rocher, furent complètement détachées de leurs bases. Les murs s'écroulaient et les malheureux habitants, sans pouvoir implorer aucun secours, périrent sur le coup. La neige qui continuait à tomber, recouvrit de son blanc linceul les malheureuses victimes et les débris des maisons.
Les habitants de la partie du village qui avait été épargné essayèrent d'organiser des secours mais dans la nuit noire il leur fut non seulement impossible de circuler sous la tourmente, mais même de sortir de chez eux, portes et fenêtres étant bloquées par la neige.

Au lever du jour les survivants purent se rendre compte de l'affreux malheur qui venait de les frapper et s'est alors que cet ouvrier italien, Nino Spinadella, établi comme cordonnier à Ortiporio, eux l'idée de s'armer de skis improvisés pour aller demander du secours. On sait comment il parvint à Barchetta et c'est de la que la nouvelle put être transmises à Bastia.

La nouvelle du sinistres se répandit en ville très tard dans la soirée. On manquait de détails et on ignorait encore le nombre exact des victimes.

Pendant ce temps, M. Beaugrand, sous-préfet, aussitôt prévenu, réunissait dans son cabinet M. le général Fournier, commandant supérieur de la défense de l'île; M. de Montera, premier adjoint de maire; M. le commandant de gendarmerie; M. Milelli, commissaire de police et divers chefs de service.
Monsieur le consul général d'Italie qui avait appris la nouvelle du désastre ne tardait pas à se rendre à la sous-préfecture qui fut également priée d'assister à la réunion.

Un seul sentiment animait tout le monde, se porter au secours des populations sinistrées et par les voies les plus rapides. La grande difficulté résidait dans l'interruption des communications. C'est alors que l'on songea à organiser une équipe de skieurs,équipe dont la direction fut confiée à M. le commandant Otaviani est donc demanda à faire partie M. Lucchetta, agents consulaires d'Italie à Corté.

On décidait alors, d'autre part, de faire partir dans la nuit, des gendarmes, des hommes de troupe, en attendant de pouvoir organiser des équipes de travailleurs volontaires.
M. de Montera se chargea d'adresser un appel à la population. Cet appel fut entendu et des hier matins devant l'hôtel de ville se présentaient de nombreux groupes de volontaires, simples citoyens, marins, terrassiers, ouvriers de diverses entreprises, qui armée de pelles et de pioches, prirent place sur des camions mit aussitôt à la disposition des autorités par des industriels de la ville et qui se dirigèrent à toute vitesse sur le lieu du sinistre.

C'est l'équipe des skieurs ayant à sa tête M. le commandant Otaviani , M. Bruno Lucchetta, skieurs volontaires, et M. le lieutenant Ferrari, qui arriva la première sur le lieu du sinistre après une pénible ascension effectue presque en pleine nuit et rendue plus difficile par les lourds chargements de vivre et surtout de médicaments que ces hommes courageux avaient placés dans leurs sacs.
Rejoint par quelques habitants, ils ne purent que constater l'étendue du désastre et l'impossibilité matérielle d'essayer de dégager les victimes ensevelies sous un amoncellement considérable de rochers et de neige.

Peu de temps après parvenaient sur les lieux, a et avoir fait plus de 9 km de routes à pied à travers des sentiers escarpés et une couche de neige qui leur arrivait à la ceinture, M. Beaugrand, sous-préfet de Bastia, monsieur le général Fournier, M. Grauger, procureur général, M. Baixés, procureur de la république, le capitaine de gendarmerie Rival, des officiers, des chefs de détachement, etc..

Ils ne tardèrent pas à être suivis par les équipes de travailleurs volontaires parties de Bastia où accueillies le long de la route, par les entrepreneurs des ponts et chaussées, notamment par M. A.T. Rossi, Lazare Suzzoni, etc. parmi ses équipes, en nous excusant de ne pouvoir les mentionner toutes signalons celle de l'entreprise Papineschi dirigée par le jeune fils Papineschi et un vaillant groupe d'ouvriers Bastiais ayant à sa tête le sous-brigadier Rinieri de la police municipale, qui fut l'un des premiers à arriver sur les lieux accompagnés de monsieur Grimaldi, agents des fraudes.

Il est matériellement impossible de connaître dès aujourd'hui et de citer les noms de tous ceux qui, dès la première heure, et n'écoutant que leur dévouement se sont dirigés vers les régions de campile et du Rostino.

Car, en même temps que l'on se dirigeait sur Ortiporio, d'autres volontaires avaient poussé jusqu'au village de la vallée de Rostino dont on n'avait reçu des nouvelles alarmantes.

D'autres, enfin essayèrent de se frayer un chemin jusqu'à Lento, Bigorno, etc..
Dans la soirée un grand nombre de ses volontaires était de retour à Barchetta, point de concentration où avait été établi une ambulance militaire. Les nouvelles rapportées de la région du Rostino étaient aussi rassurantes que possible. On signalait uniquement les difficultés de communication et la nécessité d'organiser le ravitaillement de la population.

Ajoutons que le village de Bisinnchi a été évacué et que les habitants ont été en grande partie, transporté à Bastia et logés à l'hôpital civil où toutes les mesures pour leur couchage et leur nourriture avait été prise par M. Jacques Olivari, deuxième adjoint au maire.

Dans la soirée d'hier des télégrammes sont parvenus de la région d'Orezza. Les maires de diverses communes demandent des secours et du ravitaillement. On ne signale pas de victimes, mais à Stazzonna il y a trois mètres de neige. Les toitures de plusieurs maisons se sont effondrées sous le poids de la neige. Les bâtiments de la source se sont également effondrés. La commune de Carpineto et bloqué par la neige.

Il en est pour l'instant de même dans le canton d'Alesani et dans celui de Campitello.
On se portera aujourd'hui au secours de ces populations. Une réunion a eu lieu hier soir à la sous-préfecture pour arrêter les dispositions nécessaires.

Voici la liste des victimes de la catastrophe d'Ortiporio Gregori Octave et sa femme Joséphine, Laurieri, sa femme et ses sept enfants, Gregori Jean Laurent et sa femme, Gregori Pierre, Gregori Marie, Gregori Paul, Gregori Élisabeth, Ventura Marie, Ventura félicie, Campana Salide, Campana Marie, institutrice, Pietri Mathieu, Gianily Xavier, sa femme et ses six enfants, Pietri Attilus, sa femme et leurs enfants, Gregori Jean Jacques est un sujet italien.

LES MESURES PRISES PAR L'AUTORITE MILITAIRE.

Le général commandant supérieur de la défense de la Corse qui de son côté avait été avisé dans la soirée du 4 février par deux habitants d'Ortiporio de la catastrophe survenue dans cette localité, a tenu à se rendre lui-même sur place dès le cinq au matin, avec son chef d'état-major, pour présenter à la population si éprouvée les douloureuses condoléances des troupes et services de la Corse et pour se rendre compte de la gravité de la situation.

Devant l'impossibilité de dégager immédiatement les décombres recouverts d'une épaisse couche de neige, sous lesquels sont ensevelis ces malheureuses victimes, le général a décidé d'accord avec M. le sous-préfet de Bastia rencontrait à Ortiporio et avec les officiers de gendarmerie de Bastia et de Vescovato, qu'il fallait à tout prix assurer d'abord le ravitaillement de la population civile et du détachement du 173e R. I. A. envoyé sous les ordres du capitaine Chiareili au secours des sinistrés.

Dès le cinq au matin ce détachement aidé par un certain nombre de civils ( français et italiens ) Venus de Bastia et des environs, en particulier du village de Prunelli de Casacconi, à déblayer la route entre Ortiporio et Acquatella.
Un nouveau détachement de 50 soldats du 173e R.I.A. a été envoyé ce matin, dès la première heure pour ouvrir la communication entre l'ancienne gendarmerie de l'Agamizza et Acquatella, de façon à permettre à une colonne mulletière de ravitaillement, fournit par la 8e batterie du 2e R.A.C. il se trouvait déjà à Barchetta, de monter le plus tôt possible à Ortiporio. Dès que la route Barchetta - Acquatella - Ortiporio sera dégagée les deux détachements entreprendront en toute diligence la recherche des disparus si brutalement arrachés à l'affection des leurs.

Deux autres détachements des 173e R.I.A. avaient été envoyés également le 5 au matin, sur la demande de M. le sous-préfet de Bastia, l'un à Ponte Nuovo pour débloquer les villages du Rostino, l'autre sur Folelli Orezza pour débloquer la région de Piedicroce. Mais les renseignements obtenus dans la journée ayant permis d'établir que la situation n'y était pas critique, ces deux derniers détachements ont reçu l'ordre de rentrer à Bastia ce matin, en vue de concentrer les efforts sur la région d'Ortiporio Campile.

La Suite du Bastia Journal du 7 Février 1934.

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