Bastia Journal : Le 19 et 20 février 1934.

DISCOURS DE M. SEGUIN PREFET DE LA CORSE.

Mesdames Messieurs,
une épouvantable catastrophe, telle que les annales de la Corse n'en relevaient aucune jusqu'ici, vient de dévaster la pittoresque commune d'Ortiporio. En cette mer de verdure qu'est la Castagniccia, sur un de ces éperons ou s'étagent tant de riant village, en ce relief un peu âpre, mais comme ouaté par les formes tendres des châtaigniers et des oliviers, il semble que la nature ait voulu prendre une éclatante revanche et montrer aux hommes que la douceur des climats et la splendeur des sites sont choses aléatoires et fugaces et qu'il est prudent de ne jamais négliger les soubresauts possibles d'éléments dont la science n'a pu encore déterminer entièrement les lois.
Par une nuit obscure où le vent faisait rage, une formidable masse de neige et lentement descendue de la montagne, renversant tout sur son passage, faisant entre les arbres comme une coulée de désolation, venant se briser enfin contre l'agglomération dont elle réduisait en miettes les huit premières maisons. La reposait une population paisible qui se croyait à l'abri dans la tiédeur du foyer, et sans quelle eut sans doute le temps de s'en rendre compte, elle se trouva soudain écrasée sous les ruines et entraînées avec elle dans un inexprimable chaos de décombres et de neige. Qui dira toute l'horreur de cette nuit tragique ou les habitants des maisons non détruites se sont portés, courageusement, au secours de leurs voisins, ne réussissant d'ailleurs qu'à en sauver quelques-uns, car les ressources locales étaient insuffisantes pour lutter contre l'ensevelissement sans cesse plus profond dans lequel la neige qui continuait à tomber achevait de plonger cet invraisemblable amas de cadavres et de ruine.
Puis, la tourmente passée, pas moyen de trouver sur place les outils et la main-d'oeuvre nécessaire pour accomplir un aussi formidable effort de déblaiement. L'impossibilité aussi de réclamer du secours dans les communes voisines, dont Ortiporio se trouvait séparé par un infranchissable muraille de neige.
Et, il fallut l'héroïque courage d'un jeune Italien pour que les autorités civiles et militaires fussent enfin prévenues de la catastrophe et mises à même d'organiser les secours.
Mais, avant même qu'on puisse commencer utilement le déblaiement, il était indispensable d'assurer les communications avec l'arrière, et un véritable boyau dut être construit dans la neige pour amener à pied d'oeuvre le personnel et le matériel nécessaire. Et, à cette occasion, je ne saurais trop rendre hommage aux officiers et aux hommes du 173e régiment d'infanterie et du deuxième groupe d'artilleries coloniales, pour le zèle et le dévouement dont il ont fait preuve au cours de ces pénibles journées. J'associerai, dans ces éloges, les hardis skieurs et les nombreux travailleurs civils qui sont venus de Bastia et des communes environnantes pour aider, eux aussi au déblaiement des ruines et à la recherche des cadavres.
Tâche longue et pénible s'il en fût, car l'étendue, forcément limitées, de la zone à déblayer ne permettez pas l'emploi simultané d'un trop grand nombre de travailleurs. Un à un pourtant, les cadavres purent être arrachés à leur linceul de décombres et de neige, et en cette journée ensoleillée, où la nature semble vouloir se faire pardonner les deuils qu'elle a causés, nous nous trouvons réunis ici, conviés par la municipalité d'Ortiporio, pour rendre hommage à la mémoire des disparus.
Victimes innocentes d'une inexorable fatalité, 37 corps sont là étendus dans leur bière, entre lesquelles, sans distinction d'âge, de sexe, de conditions sociales, la mort a réalisé la plus souveraine égalité. Quels mots trouvés pour exprimer l'émotion qui a étreint tous les coeurs dans la France tout entière lorsqu'a été connu la nouvelle d'un sinistre aussi inattendu en cette terre de soleil et de lumière!. Ce n'est pas sans raison que l'Antiquité faisait placer un bandeau sur les yeux du destin, et l'on reste confondu de demeurer impuissants devant les conséquences d'une aussi effroyable catastrophe, et de ne pouvoir exprimer ici d'autres sentiments que ceux de la douleur et de la pitié.
Et cependant, la vie continue. Il faut songer qu'il reste des misères à soulager, des ruines à réparer, en la circonstance, la solidarité nationale s'est affirmée dans toute sa générosité native. De tous les points du territoire, des télégrammes ont afflué apportant à la commune d'Ortiporio et aux familles des sinistrés leurs condoléances émues, offrant des dons, annonçant l'ouverture de souscription.
De leur côté, les pouvoirs publics ont le devoir, auquel ils ne faibliront pas, de rétablir au plus vite les communications normale, de remettre les routes en État, d'indemniser les propriétaires d'arbres ou d'animaux détruits, par le jeu de la loi sur les calamités atmosphériques. Je tiens à donner ici l'assurance publique, ni l'État, ni le département, ne tenteront de se soustraire à l'obligation morale qui leur incombe, d'effacer au plus vite les traces matérielles d'un sinistre sans précédent et de veiller à ce que le seul souvenir douloureux qui persiste dans la mémoire des hommes soit celui des 37 habitants d'Ortiporio auquel nous rendons aujourd'hui les suprêmes hommages.
Au nom du gouvernement de la république, au nom du département de la Corse, je leur adresse un dernier adieu, et j'ai pris leur famille de bien vouloir agréer ici, l'expression de mes condoléances attristées.

ALLOCUTION DU CAPITAINE DE VAISSEAU DUTFOY.
M. François Pietri, ministre de la marine, m'a chargé de le représenter personnellement, aux obsèques des victimes d'Ortiporio.
Ce n'est pas sans un profond regret qu'il s'est vu contraint par les devoirs de sa lourde charge, de rester sur le continent en ces heures douloureuses.
Sa pensée, s'est ému à chaque nouvelle étape de cette triste période, est aujourd'hui, il a tenu à ce que le commandant de la marine en Corse apporte aux populations si éprouvées le témoignage de sa profonde et douloureuse sympathie et transmet aux familles des victimes ses sentiments de condoléances et son entière et affectueuse sollicitude. Qu'il me soit permis de joindre au sentiment de M. le ministre de la marine ceux de la marine tout entière.
Des discours furent également prononcés par M. Campana, président de la section des combattants d'Ortiporio et par M. Raffaelli, maire de la commune.

M. Hyacinthe de Montera, premier adjoint au maire de Bastia, a adressé à M. le maire d'Ortiporio la lettre suivante.
Bastia, le 18 février 1934.
Mon cher collègue et ami, je me faisais un devoir de venir aujourd'hui saluer au nom de la ville de Bastia. Les douloureuses victimes qui ont péri dans la tourmente du deux aux 3 février. Je l'aurais fait avec d'autant plus d'émotion que vous savez les liens qui m'attachent à Ortiporio, mais je suis averti que pour arriver sur le lieu de la cérémonie il me faudrait parcourir 600 mètres dans la neige et pareil effort est incompatible avec l'État ou m'a laissé la catastrophe du palais de justice. M. Olivari, adjoint au maire, le Dr Quilici, conseiller général et M. Bonavita, un ingénieur de la ville, représenteront Bastia et déposeront en son nom une couronne sur les cercueils des victimes. Croyez bien qu'en cette douloureuse circonstance Bastia et de coeur avec vous. La commune d'Ortiporio. Bien cordialement à vous.
H. de Montera.

Suite prochainement.

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