Bastia Journal : Le 19 et 20 février 1934.

LES OBSEQUES DES VICTIMES DE LA CATASTROPHE D'ORTIPORIO.

Dimanche, 18 février, à 14 heures, ont eu lieu a Ortiporio les obsèques aussi solennelles qu'émouvantes des victimes de la catastrophe du 2 février.
Sur la place de l'église une estrade formée par la neige haute de près de deux mètres. C'est là que sont déposés les 37 cercueils contenant les restes de nos malheureux compatriotes autour desquels la foule des parents et amis.
De nombreuses couronnes et des gerbes de fleurs fraîches: celle de M. le préfet de la Corse et celle de M. le sous-préfet de Bastia.
Les couronnes de la ville de Bastia, du général Fournier, des syndicats des commerçants, de M. le sous-préfet de Bernardi, de Mlle Gregory, etc...
Ne remarquons la présence de M. le préfet de la Corse, le commandant de marine en Corse, représentant M. François Pietri; M. le général Fournier, M. Giurati, consul général d'Italie et son chancelier; le colonel Durand, chef d'état-major; M. Beaugrand, sous-préfet de Bastia et M. Pietri, sous-préfet de Corte; le colonel de gendarmerie Maria, le commandant de gendarmerie Eenz; M. Olivari, représentant la municipalité de Bastia; les docteurs Quilici et Morucci. Conseillers généraux; M. M. Quesnel, ingénieur en chef et Altieri, ingénieur des ponts et chaussées; M. de Bernardi, sous-préfet de Briey; M. Sampiero Farinole, conseiller à la cour, représentant la famille Gavini; Monsieur Seghetti, chef du bureau de la sous-préfecture; M. Milelli, commissaire de police; M. Erasme Santi, vice président du syndicat de la presse Corse; M. Jacques Rocchesani, président de la fédération des anciens combattants du nord de l'île, à la tête d'une délégation du bureau, avec drapeau; M. Bridon, inspecteur primaire à Bastia; M. Ronavita, architecte, etc....
Monsieur le chanoine Morazzini, curé archiprêtre de Sainte-Marie, représentant sa grandeur monseigneur Rodié, entouré de M. l'abbé Valentini, curé d'Ortiporio et de M. l'abbé Lorenzi, curé de Campile, avant de donner l'absoute, prend la parole.

ALLOCUTION DE M. LE CHAMOINE MORAZZINI.

Mes frères,
Délégué par son excellence Mgr l'Evêque pour mêler la voix apaisante de l'église à ce concert attristant de regrets et de pleurs, je sens qu'il me faudrait les accents émus de sont incomparable paroles et je ne puis en être qu'unécho affaiblit. Je me console pourtant de mon impuissance, en pensant que si mes lèvres ne répondent pas à mon âme, votre recueillement et vos larmes parleront mieux que moi et sauront achever ce j'aimerais à redire dans un langage digne de notre premier pasteur.
L'affreux malheur qui s'est abattu sur vous a eu un long et douloureux retentissement dans notre pays, dans toute la France, partout où il y a des Corses et des Français et dans la nation voisine qui a communié avec nous par son large continent d'holocauste. De toutes parts vous sont venues des marques non équivoques de compatissante sympathie. Comment en effet, rester l'oeil sec et le coeur froid en présence de ces ruines qui ont enseveli près d'un quart de votre population?. Mais quand notre pauvre raison veut remonter à la cause de cette foudroyante catastrophe, quand elle se demanda pourquoi de ces paisibles familles, la veille, pleine de vie et de santé, ont trouvé dans leur lit, leur dernier sommeil, pourquoi ce choix de victimes fait par l'avalanche meurtrière, elle s'avoue désemparée. Dans son affolement, elle se surprend à pousser les plaintes les plus vives, à faire entendre les récriminations les plus amères contre la providence, contre Dieu qui tient les fléaux à ses ordres et fait de la foudre son ministre. Comment, gémit-elle, croire en son amour, comment reconnaître sa justice en face des douleurs et des peines qui fond de notre vie une source intarissable de pleurs?.
Ces difficultés sont graves et de nature à troubler la fois défaillante de Chrétien mal éclairées; mais ne croyez pas qu'elle soit nouvelle.
Écoutez en quels terme les a formulées, il y a déjà bien des siècle, l'auteur inspiré du livre de l'ecclésiastique : « j'ai vu une chose étrange sous le soleil : tous se fait par rencontre, au hasard et à l'aventure ». Le réquisitoire contre la providence constitue en s'accentuant : « toutes choses, ajoute le sage, arrive également au juste et à la injustice, à l'homme de bien et au méchant ». Il y a plus encore : c'est toujours le saint esprit qui parle par un l'organe de Salomon : « il y a des justes à qui les malheurs arrivent comme s'ils avaient fait les actions des méchants et il y a des méchants qui vivent dans la sécurité comme s'ils avaient fait les oeuvres des justes ».
Ce sont là, mes frères, les censures et les plaintes que nous entendons articuler chaque jour et peut-être se rencontre-il au milieu de vous quelques âmes découragées, disposées à croire, devant le terrifiant spectacle qui s'étale sous nos yeux, qu'il est impossible de justifier la providence?.
À ces âmes que j'ai le devoir de dire que ce désordre apparent affermit notre foi au lieu de l'ébranler. Il est juste d'ailleurs d'écouter le Sage jusqu'au bout : « j'ai vu que rien n'était ici-bas à sa place : que la prospérité et les disgrâces tombaient au hasard et d'une main aveugle sur le juste et sur le méchant ». Il a vu tout cela, et que conclut-il? qu'il faut regarder plus haut plus loin. « Tout est réservé pour l'avenir, dit-il; viendra un jour ou Dieu jugera sa cause et ce sera alors le temps de toute chose, et tune erit tempus omnis roi, ecc, TTT,19 ».
C'est ici, mes frères, vous dirai-je avec Bossuet, « tout le mystère du conseil de Dieu, la grande maxime d'État de la politique du ciel ». Se trompent d'une étrange erreur, de l'erreur des ingrats, ce qui, peut juger le gouvernement providentiel, mesure l'action divine à leurs propres vues. Ils peignent Dieu d'après eux même, dit saint Augustin, semetipso pro illo cogitantes; ils ne voient ni plus haut que ce monde ni plus loin que le temps et le prophète isaic nous apprend qu'autant le cieux sont élevés au dessus de la Terre, autant les voies de Dieu sont élevées au dessus de nos pensées. Dans le gouvernement du monde, Dieu n'a en vue que les âmes, ses créatures de privilèges, et dans les âmes que leur bonheur éternel avec sa propre gloire. L'homme qui veut saisir le plan divin a donc besoin de considérer cette fin sublime de la providence.
Un écrivain des temps apostoliques nous a tracé, dans le récit d'une mystérieuse vision, le travail de construction de la cité spirituelle que Dieu se bâtit pour l'éternité à travers le temps. L'architecte ne relève pas d'un seul jet la création de sa pensée : les matériaux de l'édifice sont épars, ça et là, pêle-mêle et dans une confusion momentanée en attendant qu'ils soient préparés, façonnés de manière à s'adapter au plan. Les pierres vivantes et immortelles de cette cité à venir, ce sont les âmes : elles ont besoin d'être brisées, polies, taillées avant d'entrer dans la construction et les anges sont la, exécutant le travail sous les ordres du maître souverain qui dirige et commande. L'oeuvre avance graduellement chaque jour; mais la dernière main n'y sera mise, l'édifice ne recevra son couronnement qu'à l'heure où s'achèvera le drame d'ici bas pour laisser resplendir sans ombre et sans nuages la lumière de l'éternité.
Ainsi se comprend l'action divine sur les sociétés humaines ; ainsi s'explique le mystère de la providence qui tourmente de tant de doutes notre Provost raison. En considérant ce monde comme l'élaboration du monde à venir et cette vie comme un passage à une vie meilleure, où chaque chose sera remise à sa place dans une harmonie parfaite, que les invectives contre la providence s'évanouissent. Imitons donc le voyageur prudent qui traverse un torrent agité par un orage et qui a peur d'être pris de vertige et de tomber : au lieu d'arrêter ses regards sur les eaux qui descendent de la montagne avec une menaçante impétuosité, il les fixe sur la rive tranquille qui l'attend au-delà du torrent.
Tel est la leçon que j'ai tenu à dégager de ce douloureux événement. Inspiront nous de cette sublime doctrine et sur ses cercueils que nous allons confier à la terre, écrions-nous le coeur serré et les larmes aux yeux. Elles sont légitimes, mais avec une foi vive : « seigneur. Vous nous avez brisés, en rappelant à vous si tragiquement des êtres qui nous étaient bien chers; cependant nous nous inclinons avec soumission devant vos dessins et les bénissons. En retour, daigniez les recevoir dans votre sein et les réveiller dans l'éternelle gloire. » Amen!.

La Suite du Bastia Journal du 19 et 20 Février 1934.

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